Plus que jamais, les études scientifiques se partagent sur la toile, et il semble de plus en plus difficile de faire le tri parmi toute l’information que l’on peut trouver sur internet. Lorsque l’information n’est pas conflictuelle, elle est souvent confuse ; et lorsqu’elle n’est pas compliquée, elle est souvent incorrecte.
Mais comment, parmi tout ce qui se dit sur internet, déceler le vrai du faux ; et comment mieux comprendre une étude, afin d’avoir les armes permettant de réfuter un argument ?
Et bien…. la réponse dans ce dossier !
Les acides gras polyinsaturés sont bénéfiques pour la santé… c’est ce que l’on peut lire dans une étude parue…
C’est dans le journal… que l’on apprends que trop consommer d’acides gras polyinsaturés peut être dangereux pour…
L’on sait tous qu’un apport adéquat en lipides est bénéfique pour la santé… mais toute les huiles se valent-elles ?
Les bienfaits du régime… enfin prouvés ! En effet, dans une étude…
Cela vous paraît-il familier ?
Si oui, c’est normal : bienvenue dans le fascinant monde de la recherche.
Un monde fait de compétition, d’importants enjeux financiers, mais également d’importants doutes. Pour le scientifique, la recherche est un peu comme un puzzle : il essaie des pièces, puis d’autres. Une pièce semble être bien placée, et il semblerait qu’il soit possible d’en tirer des conclusions. Mais pourtant, deux pièces semblent étrangement similaires : les conclusions de l’étude ne désormais plus véritablement fondées.
La recherche scientifique, parce qu’elle demande rigueur et attention, conduit souvent à :
- Des protocoles de recherches non-pertinents
- Des conclusions partiales ou biaisées
Et lorsque la bonne foi du chercheur n’est pas au rendez-vous, c’est encore pire, avec :
- Des mensonges
- L’omission de certains faits
Et oui, le monde de la recherche n’est pas tout rose, et il reste encore à ce jour une grande quantité de chercheurs qui, lorsqu’ils sont incapables d’arriver à de satisfaisantes conclusions, finissent par réorienter ce que les faits traduisent. Lorsque ça n’est pas l’équipe qui publie une mauvaise étude, ce sont bien sûr les journaux qui s’en emparent qui peuvent, à leur tour, vous proposer une vulgarisation biaisée. C’est le cas lorsque, par exemple, une nouvelle étude apparaît concernant la validité d’un ergogénique disponible sur le marché, et qu’un journal ou site en ligne en fasse la promotion, en proposant une mauvaise lecture de l’étude. Et pour le lecteur néophyte, il est souvent très difficile de se rendre compte de cela. Tentons donc de comprendre ce qu’il se passe à tous les niveaux.
Pression académique
Commençons par expliquer un peu mieux ce qu’il se passe pour le chercheur, en charge de mener à bien une étude. Lorsque le chercheur ne travaille pas pour le domaine public, il est bien entendu employé du secteur privé. Dans un rapport en 2012[1], nous apprenons que 44% des chercheurs travaillent dans le domaine privé en Europe, aux États-Unis, plus de 80% des chercheurs sont dans le secteur privé. Et croyez-moi, pour une entreprise faisant de la recherche, il est assez rare qu’elle soit philanthrope. Au contraire, pour ces sociétés, il s’agit de mettre au point le plus de produits possibles sur le marché, et le plus rapidement, afin de vendre et collecter les pépètes. Pour le domaine public, hélas, ce sont souvent ces mêmes sociétés qui financent la recherche.
Et bien évidemment, cette recherche en question s’intéresse souvent à de grandioses résultats, et hélas, dans 95% du temps, les résultats n’ont rien d’excitant ; il y a donc une énorme pression pour les chercheurs, et ce afin de découvrir toujours plus, toujours plus vite.
Dangers de la recherche biaisée
Sur le site de la BBC[2], nous apprenons que les professionnels de santé ont émis en 1998 un avertissement à l’égard des chercheurs, dont les résultats biaisés pouvaient êtres dangereux pour la santé de leurs patients, et ce parce que les médecins se basent sur de telles études lorsqu’ils pratiquent. Je cite cette étude dans laquelle un chercheur avait annoncé avoir réussi à greffer de la peau de couleur noire sur une souris blanche…avant que l’on ne découvre qu’il avait en fait utilisé un marqueur noir pour simuler la greffe de peau.
Et ça n’est qu’un exemple parmi des milliers ; parmi un nombre croissant chaque année.
Voici quelques astuces qui peuvent vous aider à mieux lire et comprendre une étude scientifique. Bien sûr, cela reste très dur sans une éducation formelle en sciences, et en statistiques ; quoi qu’il en soit, avec du bon sens, et quelques années d’expérience, vous améliorerez grandement votre capacité à comprendre une étude.
1: La plupart des sociétés mentent
C’est un fait : les sociétés vendant des compléments alimentaires ne sont sous aucune obligation juridique concernant la véracité des études utilisées, mais également des produits commercialisés. Inutile de porter plainte contre une société si la pilule vous ayant promis un corps de rêve ne fonctionne pas.
2 : Retrouvez la source
Lorsque vous consultez un article sur la toile annonçant que le blé rend obèse et aveugle, commencez par consulter les sources citées en fin d’article. Aucune source ? Passez votre chemin. Et lorsque l’étude ou les études sont citées, n’hésitez pas à vous renseigner sur le responsable de l’étude. Voici comment lire une référence [3] :
Jönsson T, et al. Beneficial effects of a Paleolithic diet on cardiovascular risk factors in type 2 diabetes: a randomized cross‐over pilot study. Cardiovasc Diabetol. 2009 Jul 16;8:35.
- Jönsson T, et al : Jönsson T est l’auteur principal de l’étude. Et al est une abréviation utilisée pour réduire une liste de personnes, notamment d’auteurs.
- Beneficial effects of a Paleolithic diet on cardiovascular risk factors in type 2 diabete : il s’agit du nom de l’étude.
- A randomized cross‐over pilot study : le protocole utilisé.
- Cardiovasc Diabetol. : il s’agit du nom du journal dans lequel l’étude a été publiée. Il peut s’agir du nom complet, mais souvent il s’agit d’une abréviation.
- 2009 Jul 16 : la date de publication.
- 8:35 : Indique généralement où trouver l’étude en question. Il peut s’agit d’un ensemble de page, ou bien d’un section au sein de l’édition.
Cela vous permettra d’en apprendre un peu plus sur le journal ayant publié l’étude. Lire une référence vous permettra de vous poser rapidement quelques questions :
- L’auteur existe-t-il vraiment ? Parfois, ça n’est pas le cas.
- Que se propose d’analyser l’étude ? Si le titre diffère grandement du sujet discuté dans l’article, méfiez-vous.
- Vérifiez le journal, puis son facteur d’impact[4]
- Vérifiez la date de publication. Il n’est pas rare de trouver des références à de vieilles études, pour lesquelles des études plus récentes ont prouvé le contraire. Les sciences évoluent en permanence.
Et lorsque vous consultez l’étude en question, voici les choses auxquelles prêter attention :
3: Qui sponsorise l’étude ?
Lorsque vous consultez une étude, cherchez les sponsors. Une étude vantant les bienfaits d’un complément alimentaire…sponsorisé par une société qui vend ces mêmes compléments ? Intéressant.
4: Est-ce une étude évaluée par les pairs ou non ?
Lorsque l’étude n’a pas été évaluée par les pairs (peer reviewed en Anglais), prenez l’étude avec des pincettes. L’évaluation par les pairs consiste en une relecture par un ensemble de chercheurs spécialisés dans le même domaine, avant la publication de l’étude.
5 : Humains ou animaux ?
Gardez toujours en tête une chose : nous ne sommes pas des animaux (on peut se comporter tel quel), et lorsque des études sont effectuées sur des rongeurs, il y a de fortes chances que les résultats diffèrent grandement sur des humains. Lorsque vous lisez que l’administration d’une substance X chez des souris augmente la masse musculaire de Y%, il y a de très fortes de chances que les résultats sur des humains diffèrent.
6 : Penchez-vous sur la population étudiée
L’échantillon est très important. Avant de conclure que tel produit fonctionne pour tout le monde, étudiez l’échantillon : s’agit-il de personnes en surpoids ? Des personnes sédentaires ? Des femmes ménopausées ? En fonction de l’étude, l’échantillon ne sera pas le même ; par exemple, si l’on souhaite étudier les effets de la caféine sur la performance sportive, et que l’échantillon est composé d’athlètes de haut niveau, les résultats seront bien différents par rapport à un échantillon composé de sportifs occasionnels.
7 : Combien de personnes ont-elles participé à l’étude ?
Les études sont souvent menées avec des étudiants sur le campus du laboratoire de recherche, pour des raisons pratiques, mais c’est quelque chose que vous devez garder en tête lorsque vous consultez une étude. Plus l’échantillon est faible, et moins il sera possible d’arriver à de véritables conclusions. Si l’on remarque que pour 5 personnes, 30 grammes de protéines 30 minutes avant un effort améliorent l’endurance de 30%, cela ne signifie en rien qu’il sera possible de conclure que 30 grammes améliorent la performance de 30% pour toutes les personnes consommant 30 grammes de protéines. 5 personnes diffèrent grandement d’une étude contrôlée avec 1000 ou 2000 participants (étude qui coûterait très cher d’ailleurs).
8 : Méfiez-vous des superlatifs
Attention aux mots tels que « de manière significative », ou bien « une importante augmentation ». Souvent, lorsque l’on regarde de plus près une étude, la différence entre deux sujets de même type est souvent minime. De tels adjectifs peuvent parfois être utilisés par certains chercheurs de mauvaise foi pour grossir les chiffres.
9 : Très important : analysez le protocole de test
Le protocole est le nerf de la guerre. En fonction des moyens dont dispose le laboratoire, le protocole de test variera. Est-il possible de conclure que la vitamine D augmente la force de 20% si des sujets sont envoyés chez eux avec de la vitamine D, et reviennent 20% plus fort au bout de deux semaines ?
Et bien non. Le protocole utilisé déterminera la force ou la faiblesse de l’étude. Lorsqu’il y a une étude, préférez les études dites randomisées en double aveugle.
Une étude randomisée en double aveugle consiste en l’administration dudit produit, sans que ni les chercheurs, ni les sujets ne sachent qui consomme quoi (produit de test versus un placebo). Cela permet d’analyser les résultats sans biais. C’est bien sûr un protocole très lourd à mettre en place.
10 : Prenez le temps de lire les conclusions
Vous paraissent-elles cohérentes ? Il arrive souvent que les conclusions soient hypothétiques, et assurez-vous de comprendre ce que cela signifie. Les auteurs utilisent souvent une tournure du type :
C’est à la lumière de ces résultats que nous pouvons conclure que…. Bien que ces résultats aient été concluants sur une population X, un travail de recherche supplémentaire sur une population Y est nécessaire, et ce afin de déterminer…
Fait intéressant, lorsque je parcours des articles sur la toile, beaucoup d’auteurs omettent volontairement la conclusion, préférant des résultats extrapolés.
Conclusion
En conclusion, parce qu’il existe d’importants enjeux aussi bien pour les sites relayant l’information, que pour les chercheurs publiant une étude, il n’est pas rare de se faire avoir. Comprendre et déceler le vrai du faux est un travail de longue haleine, qui nécessite de faire des recherches, comprendre les affiliations entre les différents acteurs, et savoir déchiffrer les études. Mais aucune inquiétude, ce « libre savoir » est également un avantage, puisque plus que jamais, des experts sans intérêt osent s’exprimer en ligne ; aussi, peu de temps s’en faut avant que la vérité n’éclate.
Lorsque quelque chose vous paraît trop beau pour être vrai… et bien c’est effectivement trop beau pour être vrai. Il n’existe aucune pilule magique dans les sciences nutritionnelles, et c’est grâce à un esprit critique et affûte qu’il vous sera possible à votre tour de mieux réfuter les arguments et de mieux analyser une étude.
Références
- DG Recherche et Innovation. Rapport 2012 sur la situation des chercheurs. Deloitte 2012.
- BBC News. Health ‘Lives at risk’ from research fraud. June 4, 1998.
- Scientific Style and Format Citation Quick Guide.
- Wikipédia. Facteur d’impact