Principe de Pareto
Le principe de Pareto, ou encore loi de Pareto (par abus de langage) désigne un phénomène connu des analystes : 80% des effets sont le produit de 20% des causes. Dans le monde du commerce, on entend souvent 80% des ventes sont réalisées grâce à 20 % des clients ; dans la gestion de projet, ce sont 20% des efforts qui conduiront à la réalisation à hauteur de 80% du projet. Cette « loi » met donc en avant que 80% des résultats dépendent de 20% des efforts. Ce principe théorique du « 80-20 » a été démocratisé, puis réutilisé dans tous les domaines de la vie. Certains psychologues l’appliquent, des coachs l’utilisent avec leurs clients. Bref, c’est un principe qui est devenu une loi, qui à son tour est devenue « quelque chose ». Ce quelque chose ne possède aucun fondement véritable, sinon qu’il existerait un loi qui nous donnerait la permission de s’investir dans quelque chose 20% du temps, en sachant (espérant) que 80% des résultats nous profitent.
Confusion
Ce « principe » est peut-être quelque chose que nous avons nous-même professé à nos élèves, lorsque nous leur expliquons que si ils s’appliquent à s’alimenter correctement 90% du temps, alors cela sera suffisant pour leur apporter les résultats qu’ils souhaitent obtenir. Mais l’expérience nous a montré que ça n’était pas si simple que cela. S’appuyer sur des « principes » ou les « lois » en guise de lignes directrices est aussi imprécis que confus.
Prenons l’exemple d’une personne souhaitant perdre du poids, qui pense donc que si elle surveille son alimentation et son niveau d’activité « 90% du temps », cela devrait être suffisant.
Le résultat : et bien, parfois cela est en effet suffisant, mais parfois, cela ne fonctionne pas. La balance ne bouge pas, la personne se sent plus fatiguée, et perd de la motivation au bout de 6 mois, désespérée et convaincue qu’elle ne pourra plus jamais perdre de poids. Et c’est en regardant de plus près que l’on se rend compte que 10% du temps ont été suffisants pour annuler 90% des efforts. Il se peut par exemple que la personne ait surveillée son alimentation en semaine, tout en se laissant aller les week-ends. Les petites indulgences initiales se transforment en mauvaises habitudes, qui finissent par devenir un trop plein de nourriture. Ce cas n’a rien d’un cas isolé, c’est en fait ce à quoi beaucoup de personnes sont confrontées lorsqu’elles essaient de perdre du poids, ou bien améliorer leur physique.
Facteurs environnementaux
Pour les personnes qui atteignent leurs objectifs, c’est souvent la réflexion opposée qui prend place, c’est à dire un sentiment positif, alimenté par une boucle de rétroaction. « Tout semble se mettre en place » : l’hygiène de vie s’améliore, les habitudes sont plus saines, la motivation augmente de facto… bref cette personne semble avoir plus de chance. Et lorsque l’on essaie de comprendre pourquoi parfois cela marche pour quelqu’un, c’est là que l’on réalise qu’il y a à la clé bien plus qu’une simple formule mathématique, ou des dés jetés à la providence en se disant que l’on fait de son mieux et « qu’on verra comment ça se passe ».
Il existe en fait bien plus que de simples chiffres, ou encore de simples attentes réalistes à la lumière des facteurs environnementaux. Ces facteurs constituent tous d’autant d’éléments possibles pouvant expliquer pourquoi parfois nous « réussissons », et pourquoi nous échouons.
Il existe en catimini dans nos sociétés plusieurs messages forts, tendant à nous expliquer qu’il est possible d’accomplir tout ce que l’on souhaite, avec suffisamment de motivation. Et pourtant, c’est un message aussi faux qu’hypocrite, et ce parce qu’aussi libres que nous sommes, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de nombreux facteurs pour lesquels nous n’avons aucun contrôle. Le changement est bien plus qu’une affaire de motivation. Bien que cette dernière soit suffisante pour amorcer le changement, la motivation et la loi de Pareto ne constitueront jamais une recette miracle qui vous donneront le corps de vos rêves, un compte en banque fourni, et une villa. Votre implication et votre capacité à vous investir vous donneront quoi qu’il en soit de quoi être fier de vous-même et des progrès que vous pourrez accomplir.
Bien sûr, il existe un élément de responsabilité, qui déterminera votre capacité à faire bouger les indicateurs que vous contrôlez. Vous pouvez par exemple apprendre à cuisiner, mais également faire de meilleurs choix alimentaires, qui contribueront dans une certaines mesure à vous aider à améliorer votre vie. Mais il en existe beaucoup plus, certains qu’il vous sera facile d’identifier et de changer, d’autres qu’il vous sera facile d’identifier mais difficiles à changer, et ceux que vous ne pourrez pas identifier de vous-même (et c’est souvent là qu’un coach peut vous aider. Un coach sera toujours plus objectif, car il n’est pas vous).
Lorsque l’on se penche plus en détail sur notre tendance à s’en tenir à des principes comme celui de Pareto, il me semble qu’il y a dans cette approche plusieurs choses, dont je vais discuter en détail.
Biais cognitif
La première chose, c’est bien sûr notre biais cognitif. Le biais cognitif est un état psychologique consistant à voir les preuves là où nous voulons les voir. Par exemple, lorsqu’une personne souhaite changer de situation professionnelle, elle verra de plus en plus de phénomènes qu’elle qualifiera de « signes », comme pour mieux appuyer la volonté de changer de situation de vie. Ce biais est en fait très présent dans nos vies1. Il existe lorsque l’on argumente avec une personne, faisons des choix, cherchons à raisonner une décision. Et pourtant, ce phénomène psychologique est souvent trompeur, et nous amène à ne pas voir l’ensemble des « variables » qui existent véritablement.
Ce biais cognitif est également piégeur, car il renforce notre conviction que des principes, comme la loi de Pareto, se devraient de fonctionner, puisque cela semble marcher avec d’autres personnes. Mais encore une fois, plus qu’être soumis à des lois, l’individualité de chacun (ne serais-ce pas une tautologie ?) constitue en fait le cœur de la dynamique sur laquelle travailler. Nos sociétés sont en fait assez confuses, puisque nous vivons avec un paradoxe : celui de la conformité individuelle. La publicité nous vend un cliché de vie qui est souvent bien éloigné de nos aspirations les plus profondes (qui sont méconnues de beaucoup), et elle arrive à canaliser notre doute pour nous faire croire qu’il existe une vie à laquelle nous conformer, et il semblerait également que nos gènes influent sur notre capacité à changer d’avis et réviser nos opinions2. Cela signifie donc qu’il existe simplement plus que le Karma et la bonne volonté : sans une analyse intelligente et intégrant les préférences individuelles, nous nous condamnons tous à essayer de devenir une mauvaise copie de quelqu’un d’autre.
Raison émotionnelle
Il existe également en plus du biais de confirmation, une raison émotionnelle. Nous pensons souvent que nos choix sont le produit de la raison, or, dans beaucoup de cas, il s’agit d’un choix émotionnel, rationalisé a posteriori. L’exemple classique auquel je pense est lorsque nous souhaitons changer d’ordinateur ou de téléphone. Nous invoquons un « besoin » qui semble justifié, mais qui s’avère souvent être une envie ou un « coup de cœur » (et je reconnais que cela m’arrive aussi !). Il n’y a bien sûr aucun mal à cela ; nos émotions ne devraient pas nous êtres étrangères. Mais, comprendre ce principe est souvent nécessaire lorsque l’on se penche sur nos désirs et ce qui nous empêche de les combler. Appliqué au domaine du fitness, notre incapacité à nous en tenir à nos objectifs semble justifiée en apparence (« j’ai trois enfants à charge et un travail à temps plein »), mais moins souvent valable.
L’expérience humaine est en fait tout sauf objective3 elle est plutôt l’agrégat d’un ensemble d’émotions dissimulées sous le couvert d’une rationalisation. Lorsque nous pensons avoir raison, souvent, il s’agit juste de notre incapacité à voir les facteurs internes et externes pour ce qu’ils sont. C’est quelque chose que l’on retrouve chez les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire : la vision faussée d’un objectif masque un besoin intérieur non compris.
D’autant plus intéressant, ce biais de conformation est en fait très difficile à éliminer4, nous pensons juste qu’il fait parti de notre manière de raisonner, et qu’il constituait un avantage pour nos ancêtres. Je pense moi-même qu’être objectif sur un phénomène est très difficile, et souvent, nous finissons par chercher la raison là où il n’y en a pas. En soi, ça n’est pas très grave, mais il est important de s’en rendre compte, surtout lorsque nous souhaitons changer.
Piège des principes
Pour que chacun évolue, et comprenne un mieux sa vie, il convient donc selon moi, d’oublier tous ces principes. S’éloigner des lois, en pensant qu’elles soient vraies et valables de manière systématique. Bien sûr, notre corps n’échappe en rien aux lois de la thermodynamique, mais ça n’est pas le cas de nos habitudes alimentaires, de nos envies, de nos préférences personnelles, et objectifs. Pour tous ces facteurs, il existe des phénomènes émotionnels plus que rationnels ; et en prendre conscience permettra de remarquer combien des principes sont bien trop insuffisants pour expliquer pourquoi malgré vos efforts, vous n’arrivez pas à perdre du poids, ou bien avoir une vie plus active.
De plus, ces principes renforcent l’idée qu’il n’existe qu’une seule manière de faire. Il est facile de lire sur Internet le récit d’une personne qui a perdu 20 ou 30 kilos en réduisant sa consommation de sucre, et c’est à partir de là que beaucoup finissent par le diaboliser. Et pourtant, plus que le sucre, il existe peut-être chez cette personne d’autres facteurs qui ont joué en sa faveur ; réduire à un ou deux éléments l’ensemble de ce qui constitue votre vie vous condamne à essayer de faire rentrer des cubes dans des cercles, et balaie violemment la totalité du spectre expérimental auquel vous avez accès. Votre corps est bien plus qu’une simple « machine » qui se doit de ressembler à telle ou telle chose, votre motivation est tout sauf une constante, et votre apparence est définitivement bien plus qu’un reflet dans un miroir.
S’en réduire à des principes nous condamne en fait à deux choses :
- Tomber dans un éternel biais cognitif
- S’en vouloir jusqu’à ce que ça fonctionne
Mais…qu’y a-t-il entre ces deux états ? Ne pouvons-nous donc pas trouver une manière de fonctionner qui puisse être en harmonie avec nos aspirations personnelles ? Est-il possible d’avoir un cadre sur lequel s’appuyer, indépendamment de principes énoncés ?
Et bien oui, c’est possible. Pour ce faire, il faut apprendre, comprendre, et identifier ce qui constitue dans votre vie les obstacles à vos aspirations. Mais plus que définir les obstacles, il faut également comprendre ce à quoi vous aspirez ; après-tout, bien que perdre du poids puisse vous aider à mieux vous apprécier, quid du reste ?
Et la raison pour laquelle tout me semble lié, c’est bien sûr parce qu’il est en fait impossible de séparer les différents composants de ce qui constitue votre vie. C’est pourquoi nous n’avons et ne vendrons jamais de formule miracle sur le site : elle n’existe pas.
En conclusion, bien qu’il existe certains principes vérifiables dans des domaines précis, nous vous invitons à ne pas tomber dans le piège des ces principes lorsque vous souhaitez changer votre vie. Plus un biais cognitif qu’autre chose, les raisons qui motivent nos choix trouvent rarement écho dans une véritable objectivité. Mais avec suffisamment de recul et d’analyse, il vous sera possible de comprendre que votre vie vaut plus que des lois probabilistes.
Atteindre ses objectifs est une chose, s’épanouir en est une autre 🙂
À lire
- Kunda, Ziva. The case for motivated reasoning. Psychological Bulletin, Vol 108(3), Nov 1990, 480-498.
- Doll BB, Hutchison KE, Frank MJ. Dopaminergic genes predict individual differences in susceptibility to confirmation bias. J Neurosci. 2011 Apr 20;31(16):6188-98.
- Nickerson, Raymond S. Confirmation bias: A ubiquitous phenomenon in many guises. Review of General Psychology, Vol 2(2), Jun 1998, 175-220.
- Mendel R et al. Confirmation bias: why psychiatrists stick to wrong preliminary diagnoses. Psychol Med. 2011 Dec;41(12):2651-9.
Discussion2 commentaires
Bel article très bien rédigé, merci à l’auteur d’avoir pris le temps de sa rédaction 🙂
Avec plaisir ! Content que ça t’aies plus Cyril